Elle était belle. Elle était belle, dans cette lumière si faible. Bercée dans un clair de lune qui illuminait ses yeux et sa beauté grandissante. Svetlana était imposante. Imposante par sa personne, par sa beauté. Nullement dans sa carrure qui semblait trop faible pour voir un jour un ventre s'arrondir : il risquerait de la briser. Il la regardait, il l'admirait encore. Elle semblait tellement fragile, mais était tellement fatale. Le noir aux yeux, la cigarette aux lèvres. Son regard félin s'était déposé sur lui, lui qui baissa si vite le sien. Géné, presque soumis. Il avait succombé aux charmes de la sirène. Et encore, il ignorait que l'attraction qui pesait sur lui allait bientôt l'écraser. Aujourd'hui, je suis un monstre. Comme hier, comme toujours. Comme demain, aussi. Tu vois, ce n'est pas compliqué. C'est comme ça. Il ne comprenait pas. Il était obsédé par la fumée grisâtre qui sortait des lèvres framboises qu'il trouvait si parfaites. Elle était reine, lui l'esclave. Elle se plaisait à raconter un fragment de sa longue histoire, avant de les achever ou de les relâcher. La moue de la brune se faisait boudeuse, avant qu'elle écrase le faible bâton de tabac dans le cendrier de verre. Tu ne comprends pas. Non, bien sûr. Tu es humain, après tout. Tu es mortel. Oui, mais tu as de la chance. Alors ne te plains pas. Ne te plains jamais. Je te l'interdis. Elle l'observait remuer la tête comme un vulgaire chien, comme ceux que l'on trouvait à l'arrière des banquettes de voitures. Oui, il était comme ça. La sirène croisait les jambes et remettait en place une bretelle de sa nuisette avant de reprendre son récit. Son regard perdu se déposait sur l'humain. Tu sais, je suis une mauvaise personne. Je n'ai jamais voulu en être une, tu vois. Mais je n'ai pas eu le choix. Non, je ne l'ai jamais eu. Je suis née comme ça. Si laide, si décharnée. Je ne suis rien. Je n'ai pas de reflet, je suis un monstre. Oh comme je suis malheureuse d'être née à la mauvaise place. J'aurai aimé naître belle, vivante, humaine. Mais je suppose que ça aurait été trop facile. Je suis née pour faire le mal, pour charmer et arracher les hommes à leur famille. Comme une vengeance. Tu comprends ? Non, bien sûr que tu ne comprends pas. Tu ne peux pas comprendre. Tu sais, tu devrais fuir, tant que tu le peux encore Svetlana lâchait un soupire qui semblait la libérer de toutes les peines du monde. Sa main saisissait un verre de vin, avant que ses yeux de jade se perdent dans le rouge carmin trop foncé. L'humain n'avait pas bougé. Il ne voulait fuir. Elle était trop belle, trop attachante. Trop fragile. Ce bout de cristal avait, pendant quelques heures, redonné un but à la vie du malheureux. Non, personne ne peut me comprendre. Sauf mes semblables, encore trop différentes... Je ne suis pas vraiment comme elle. Enfin je pense. Au fond, je sais que je ne suis pas si différente. Je dois bien vivre, me nourrir de votre chair si tendre. Oh, si je ne pouvais pas être moi. Elle était jeune, une des plus jeunes parmi ses semblables. C'était un fait. Elle était jeune, et elle se cherchait. Le bien, le mal ? Elle s'en fichait. Svetlana ne voulait pas faire la guerre aux hommes. Elle voulait juste s'amuser comme un enfant avec des pantins qu'elle aurait rêvé être. Elle voulait juste faire l'amour, rire et danser dans le vent. Elle voulait ressembler à cette si jolie petite ballerine de la boite à musique qu'elle avait trouvé, un jour. Le sourire dessiné au couteau, puis au pinceau lui semblait si vrai. Si beau. Le sien se fanait, peu à peu. Non, elle ne voulait pas de ses jeux-là. Les humains ne lui avaient rien fait, après tout. Elle ne souhaitait pas aller plus loin que le besoin. Le besoin de se nourrir, et les ordres. Devenir cruelle pour sa Mère était une évidence qu'elle ne pouvait refuser. Son regard triste se déposait à nouveau sur le visage de l'humain, dans un état de béatitude la plus totale. Jamais il n'aurait pu se douter que les conseils de la sirène était plus précieux que tout. Plus précieux de la vie qu'il allait rapidement perdre.

remember to never fall in love.

Et puis tu vois, il y a des choses que je n'ai pas le droit de faire. Plein de choses. Le regard de la belle se reposait tendrement sur le verre de vin qu'elle tenait entre ses longs doigts fins. L'humain était devenu un enfant, spectateur d'une histoire d'aède qui avait traversé les âges. Svetlana sentait le regard du jeune homme sur elle. Il voulait savoir. Il voulait, mais ne le voulait pas. Non, c'était elle qu'il voulait. En faite, il ne savait plus trop. Il voulait tout, il ne voulait rien. Juste l'entendre, voir ses mouvements gracieux de parfaite danseuse. Chacun de ses soupires semblait bien placé, comme si elle jouait un rôle. Un côté presque théâtrale que l'homme appréciait. La sirène s'était avachie sur le fauteuil trop vieux, et ne tardait pas à reprendre son conte à elle. Tu vois, moi je n'ai pas le droit d'être amoureuse. Non, c'est interdit. Et puis, on m'a déjà puni. Oui, parce que c'est une faute grave pour quelqu'un comme moi. Tu vois, c'est dur. Et puis je ne suis pas comme toi. C'est pour ça que je n'ai pas le droit. Sa voix mélodieuse envahissait la pièce, tout comme son parfum si sucré qu'elle adorait. Et puis elle soupirait encore. Oui, c'était dur pour elle. Après tout, elle était jeune. Elle voulait savoir ce que c'était, d'être amoureuse. Les sirènes sont faites pour séduire. Pas pour aimer. C'était ce qu'on lui avait dit, quand elle s'était éprise d'un humain. Il était beau, grand avec de beaux yeux verts. Elle adorait passer ses doigts dans ses cheveux bruns, redessiner les lignes de son corps, de ses muscles. Il était doux, et il l'aimait. Et puis il sentait bon. Le souvenir de cet homme la faisait encore sourire. Oh oui, il m'aimait ! Et je l'aimais aussi. Jamais je ne lui aurai fait de mal. Il était seul, et moi aussi. Alors tu vois... On ne faisait de mal à personne... Mais on me l'a arraché. Oui, elles lui ont arraché le cœur. J'ai été punie, sévèrement. C'était triste. Tellement triste.... L'homme aurait juré voir une larme sur la joue de la sirène. Elle avait l'air si triste, et si perdue. Il l'imaginait en héroïne de dessin animé, aussi tendre et puis en héroïne de film d'action, aussi fatale. Parce que Svetlana était les deux, et il le savait. Tous, le savait. On pouvait le lire sur son visage fin de poupée au teint de pêche, et ses yeux de gamine en détresse. On pouvait le lire sur son corps de démon, élancé et svelte. Ses jambes interminables étaient déjà la promesse d'une nuit, tout comme son sourire provocant. Mais tu as le droit de m'aimer. Je ne t'arracherai pas le cœur. Oui, elles m'ont dit qu'il fallait que je le fasse, si je tombais encore amoureuse. Mais je ne suis pas amoureuse de toi. Sois tranquille. Mais je serai peut-être obligée de te tuer. Parce que maintenant, tu en sais trop. Mais je te promets que ça ne sera pas douloureux. Et puis, je ne t'ai pas infecté. Elle le savait rarement. Son venin restait en elle, sauf en cas d'ordre. Svetlana n'aimait pas tuer. Elle n'aimait pas voir souffrir les humains, comme celui dont elle avait été amoureuse avait souffert. Elle les trouvait beaux, gentils, merveilleux. Elle les trouvait vivants. Et parfois, l'envie l'emporte sur la raison. Elle perdait la raison. Dans son élan de tristesse, elle tuait. Sauvagement. Elle arrachait la vie à des hommes ou à des femmes, parce qu'elle était rongeait par la jalousie. Pourquoi eux, et pas elle ? Les questions récurrentes la hantait jour et nuit, et lui faisait perdre la tête. Alors je deviens un monstre. Je ne me contrôle plus. Je suis obligée, obligée de me venger. Ce n'est pas de ta faute, tu sais. Non. C'est de celle de notre créateur. C'est de sa faute, parce que je ne suis pas comme vous. Et l'homme ne comprenait pas. Pourtant, il buvait ses paroles comme si elles avaient été prononcé par Dieu. Il buvait ses paroles comme le tapis avait bu son sang.

this is war.

Le verre était vide. Elle l'avait rapidement bu. Elle avait souvent soif, après s'être adonnée aux plaisirs de la chaire. Sveltana regardait par la fenêtre, rêveuse. La vue que lui offrait la lucarne était jolie. Un clair de lune, et un paysage qui s'étendait au loin. Pas d'humains, pas de sang. Elle craignait les autres créatures que celles de sa race. Elle craignait d'autant plus les chasseurs, mais n'hésitait pas à les combattre si elle se sentait menacée. Svetlana était de la fumée. Elle était sauvage et insaisissable. Elle s'en était toujours sortie, auprès des chasseurs. Surement parce qu'elle n'avait pas encore été confrontée aux plus dangereux. La malchanceuse l'avait toujours conduite dans des situations loufoques, où elle se devait de tuer un humain pour satisfaire les désirs de la "mère Eve". Oui, c'était comme ça. Son amour pour les humains n'était pas suffisant ; sa haine contre eux ne l'était pas non plus. Paradoxale, la sirène naviguait de camps en camps pour observer les tensions. Il était facile pour elle de se faire passer pour une humaine, bien que son pouvoir d'attraction était toujours plus fort qu'elle ne l'aurait souhaité. C'était comme ça. Tu comprends, toi ? C'est dur, tu vois. Vous, vous pouvez toujours vous cacher. Et puis vous savez que vous vous battez pour le bien. Moi, je ne sais pas. Je ne suis ni dans un camp, ni dans un autre. Mère n'est pas contente. Mère dit que je me ferai influencée, un jour. Mais comment ? J'attire autant que je fais fuir. L'humain ne comprenait plus. Il était bouleversé face à la personnalité complètement paradoxale de la belle. Une adorable biche et une terrible prédatrice. Voilà ce qu'elle était. Il aurait presque cru qu'elle était des troubles bi-polaires, tant sa personne était complexe. Le regard de la sirène se déposa sur l'homme, perdu et soudain sur la défensive. Elle ne lui avait pas affecté de son venin. Mais ce soir-là, le sang avait coulé sur la moquette beige de son appartement. Dans un bruissement d'aile. Sa silhouette élancée s'était dressée au dessus de lui, pour lui arracher la vie. Elle avait pris le soin de le calmer, de le rassurer. Et puis elle embrassait ses yeux, avant de lui faire promettre de ne plus les ouvrir. Elle en avait profité pour arracher l'organe vitale de sa poitrine. Il paraît que c'est la guerre, au paradis. Tu vois, ton visage d'ange ne te sauvera finalement pas. La brunette avait finalement pris le temps d'arranger le corps, de nettoyer le sang au sol et au coin de sa bouche, et de fumer une cigarette. Une dernière cigarette avant le lever du jour, en évitant soigneusement les miroirs pour ne plus voir le reflet qu'elle haïssait tant. Une dernière cigarette avant de retourner au chaos que Mère avait semé sur la si jolie planète Terre.