MY DRAMATIC STORY

'CAUSE I'M NOT MISTER NOBODY.

Ton nom est Arya Asher Gray. Tu es âgée de vingt-sept ans, et, jusqu'à il y a quelques semaines, tu étais normale. Jamais tu ne t'étais réellement considérée comme quelqu'un de spécial. Tu avais grandi avec la certitude que jamais rien d'extraordinaire ne t'arriverait. Tu n'étais ni riche, ni incroyablement belle. Tu ne possédais aucun talent particulier. Pourtant tu t'en contentais. Ton existence n'était certes pas parfaite, mais elle t'appartenait. Et tu étais quelqu'un de bien. Du moins, tu essayais de l'être. Tu avais compris dès le départ que les choses ne seraient pas toujours simples. Une mère schizophrène, un père absent. Le duo gagnant. Mais tu avais ton frère aîné, Ben, sur qui tu as toujours su pouvoir te reposer. Tu as pourtant appris très tôt à te débrouiller seule. Tu imagines que tu désirais t'éloigner le plus possible de cette image de petite fille en détresse que tu voyais partout. Tu ne voulais pas être faible. Tu ne voulais pas être plainte.
Tu te souviens de tout. De cette petite maison perdue, dans laquelle vous viviez. De ta tante qui allait et venait chez vous, au rythme de ses amants qui entraient, puis sortaient de son existence. De cette vieille dame toujours postée devant le supermarché, et pour qui tout et tout le monde était suspect. À peine entrée à l'école, tu étais déjà adulte. Tu appris à faire le ménage, les courses. Tout ce que ta mère ne pouvait plus faire seule. Souvent, elle restait des journées entière, couchée sur son lit. Elle ne se serait sans doute plus alimentée si vous n'aviez pas été là. Tes enseignants t'aidaient, malgré tes notes déplorables, bien que cela ne soit pas toujours suffisant. Tu ne l'avouais jamais, mais tu aurais aimé être comme les autres enfants. Avoir deux parents, présent. N'être rien de plus qu'une petite fille. Avoir le choix de bien travailler à l'école, ou non. Mais tu savais déjà que ton avenir ne serait sans doute guère brillant. Tu te disais que tu saurais bien faire avec. Des amis, tu en avais, mais de loin. Tu les voyais à l'école, mais sans vraiment te lier avec eux. Tu pensais qu'ils ne comprendraient pas. Et tu ne voulais pas entendre leurs opinions, subir leur pitié. Plus tu grandissais, et plus tu te renfermais sur toi-même. Tu ne sortais jamais, tu évitais tout le monde. Une fois, tu sentis que tu aurais pu tomber amoureuse. Ton premier réflexe fut de fuir, le plus loin possible. Tu ne voulais pas t'attacher. Il te semblait que ça ne pourrait amener que des complications.
Tout changea un jour. Tu avais quatorze ans, à l'époque. L'état de ta mère s'était aggravé, au point que ta tante jugea préférable de la faire interner. Mais elle était réticente à l'idée de vous prendre en charge. Heureusement, Ben était majeur, ce qui évita bien des complications. Tu ne l'avouas, ni ne l'avoueras jamais, mais parallèlement à la peine, tu ressentis le soulagement. Tu pus vivre avec cette insouciance qui t'avais toujours manqué. Mais tu ne pouvais t'empêcher de culpabiliser. Et régresser au statut d'adolescente ordinaire te fut impossible. Tu avais déjà bien trop grandi. Tu te sentais en décalage avec les autres élèves. Tu en fréquentais quelques uns, mais toujours de loin. Tu ne parvenais jamais à te concentrer sur tes études. Tu n'aspirais qu'à quitter le lycée, et à trouver un emploi. Ben s'y opposa, mais tu parvins à l'avoir à l'usure. Et puis, son salaire d'ouvrier ne suffisait pas à votre subsistance. Tu trouvas rapidement un emploi, en tant que serveuse dans un café. Cela te suffisait. Parallèlement, tu donnais des cours de self-défense, pour arrondir vos fins de moi. Souvent, tu allais rendre visite à ta mère, dont l'état empirait. Et plus tu allais la voir, plus tu craignais que sa maladie soit un jour la tienne. Et tu avais raison de t'en inquiéter.
Tu évitais de trop songer à l'avenir, de crainte, sans doute, de voir la vérité en face. De réaliser que tu ne serais jamais que serveuse. Que tu avais bien peu de chance de connaître le bonheur familial. Tu avais changé, pourtant. Tu étais devenue plus ouverte, plus gaie. Tu avais accepté de laisser certaines personnes entrer dans ton cercle. Tu te laissais approcher, mais tu refusais encore de tomber amoureuse. Tu n'avais que des histoires sans lendemain. Jusqu'au jour où tu rencontras Liam. Tu penses aujourd'hui qu'il t'avais plu parce qu'il était aussi endommagé que toi. Votre relation, pourtant improbable, dura trois ans. Étrangement, votre séparation se fit à l'amiable. Vous preniez tout simplement deux routes différentes. Il voulait se marier, avoir des enfants. Tu n'étais pas certaine d'en avoir envie, et encore moins d'en avoir envie avec lui.

Non, ton existence n'était pas parfaite. Mais tu la connaissais. Tu avais des certitudes sur lesquelles tu t'appuyais. Des certitudes qui ne tardèrent pas à être ébranlées. Le reste de ta vie, tu te souviendras de ce jour où ton univers bascula. Tu étais avec Ben. Vous vous étiez sortis pour prendre l'air, tout simplement. Aucun de vous ne comprit pourquoi vous étiez soudainement embarqués, avec d'autres, qui n'apportèrent aucune réponse satisfaisante à vos questions. Tu étais trop abasourdie pour avoir peur. C'était si surréaliste que tu t'attendais à chaque instant à voir quelqu'un bondir en criant à la caméra cachée. Mais personne ne vint. Et la peur te prit lorsque vous furent enfin arrivés à destination. Il fallut tout assimiler d'un coup. Les camps. Et surtout, ces créatures qui semblaient venir tout droit d'un navet télévisuel. D'un coup, toutes tes certitudes s'envolèrent. Ce que tu avais toujours cru connaître n'était plus. Toi qui avais toujours refusé d'être la victime, tu n'étais à présent plus qu'un animal sans le moindre droit. Tu aurais sans doute fini dévorée, s'il n'y avait pas eu Silas. Bien que tu n'aies jamais pu l'expliquer, tu l'obsédais littéralement. Mais il n'inspirait en toi que du dégoût. Pour te persuader d'être à lui, et être certain de te préserver, il te proposa de garder ton frère sauf si tu acceptais d'être transformée en Skinwalker. Oh, il aurait sans doute pu le décider sans te demander ton avis. Mais il avait besoin que tu lui soies redevable. Tu acceptas, malgré tout ce que cela te coûtait. Sauver la vie de Ben passait avant toute autre chose. Il n'eut aucun mal à convaincre les autres que tu devais être transformée. Lorsque tu le vis se changer en animal, tu voulus tout arrêter. Mais il était trop tard, et il te mordit sans écouter tes supplications.
Tu étais la même. Mais tu étais différente. Quelque chose en toi avait changé. Quelque chose qui était là depuis bien longtemps, et qui brusquement s'était réveillé. Mais tu ne sus pas immédiatement ce que c'était exactement. Tu fis exactement ce qu'on attendait de toi, mais à l'intérieur, tu hurlais. À chaque fois que tu exprimais tes réticences à voix haute, Silas était là pour te rappeler ta promesse, et ce qui en dépendait. Mais tes efforts furent vains. Tu appris que Ben avait élaboré un plan, pour s'enfuir. Mais qu'il avait été découvert trop tôt. Il avait été dévoré par des créatures. Ce fut ce qui déclencha ta toute première crise. Tu devins incontrôlable, mue par une violence inouïe. Plusieurs durent se liguer pour t'enfermer, jusqu'au moment où tu retrouvas ton état normal. Tu n'avais rien prémédité, mais tu te rappelais de tout. Et le souvenir de ce que tu avais fait te plongeas dans le mutisme plusieurs jours.
Peut-être te serais-tu convaincue du bien-fondé de l’œuvre d'Eve, si ton frère avait vécu. Tu aimes à penser que non. Mais jamais tu ne le sauras. Tu ne songeais désormais plus qu'à fuir. Et Silas te parut en être le moyen idéal. Tu n'eus aucun mal à le convaincre de t'emmener dans un hôtel en ville. Il était Skinwalker, mais n'en était pas moins un homme. Tu savais que tu ne pourrais pas le tuer, ne disposant pas de balle en argent, ni même d'arme. Mais il te fut encore plus facile de le faire boire, jusqu'à ce qu'il s'endormit, incapable de se lever. Tu pris le soin de traîner son corps d'ivrogne jusque dans la salle de bain, où tu l'enfermas, et bloquas la porte à l'aide des meubles de la chambre. Tu n'ignorais pas que cela ne le retiendrait pas longtemps, à peine le temps de t'éloigner.
Ce fut ta vie, à partir de ce jour. La fuite. Tu ne quittais plus ta forme animale, excepté lorsque tu trouvais un logement abandonné, pour te cacher et dormir. Tu fais ton possible pour dissimuler tes traces, disparaître, car tu sais ce qui t'arrivera le jour où il te retrouvera...

BEHIND THE SCREEN

THERE IS A REAL PERSON.